vendredi 21 novembre 2014

Nosebleed, highstakes poker avec Alexonmoon et Seb Sabic

Mon voyage dans l'univers de Nosebleed a commencé il y a quelques mois. De l'autre côté de l'Atlantique. J'ai eu le privilège de partager un appartement pas très balla à quelques encablures du Strip avec Greg Ravise et Victor Saumont et ainsi d'entrer plus ou moins dans les coulisses du tournage.

LasVegas, juillet 2014. Tapis_Volant s'endort sur le clavier de son ordinateur. La fatigue se fait sentir pour celui qui termine le tournage de son film sur la vie de deux joueurs de poker highstakes, Alexandre Luneau et Sébastien Sabic. Le pèlerinage annuel aux Etats-Unis d'Alexonomoon et Seb86 est au centre du nouvel opus du créateur de Live In Deauville et de Petit Joueur.

Victor se pose des questions. Ce projet personnel complètement autoproduit c'est beaucoup d'énergie mais aussi de l'argent et du stress. Ses précédents travaux ont crée l'attente dans la communauté poker et les interrogations de l'artiste sont palpables à travers quelques discussions que nous avons eues. Va-t-il être à la hauteur ? A-t-il de quoi faire un film ? Comment extraire le meilleur de toutes ses heures à suivre deux joueurs hors du commun ? Le processus de l’accouchement créatif est en route et les réactions positives au trailer de Nosebleed qui s'enchaînent suite à sa divulgation sur Club Poker ne peuvent que l'encourager.

Et nous rentrons finalement à Paris.

Victor s'enferme alors dans sa bulle et je le taquine régulièrement sur le fait que Noël approche. Il me parle d'un pré-montage puis d'une version de trois heures... les semaines passent... et, finalement, il y a quelques jours, c'est confirmé, la date de sortie approche. Mardi, enfin, Victor me balance le lien vers une version de 86 minutes. Sortez le pop-corn. Pour nous c'est la joie, pour Victor une autre forme d'angoisse commence, celle du retour du public. Il y a aussi le vide d'avoir terminé son projet. Avant le prochain !



Après une mise en place d'une quinzaine de minutes, l'action de Nosebled se déroule dans le Nevada avec les World Series Of Poker en toile de fond. Mais l'aventure débute à Londres. Victor Saumont nous plonge dans le quotidien de deux joueurs ayant gagné des millions en jouant au poker sur Internet. Par petites touches, Victor Saumont dévoile un environnement peu accessible pour les non initiés.

Alexandre Luneau explique d'abord qu'il a payé pour apprendre. L'atmosphère est lumineuse, tranquille et calme. Il y a des bouteilles d'eau et nous avons affaire à deux joueurs professionnels. Deux joueurs dans leur zone de confort malgré les enjeux financiers. Au départ de leur carrière, jouer à une table avec Phil Ivey c'était comme affronter le boss final d'un jeu vidéo. La progression et le parcours du duo n'est qu'un court moment du documentaire mais la connexion se met en place. Créer une relation pour obtenir des réactions véritables, être le témoin de sujets qui oublient la caméra, Victor nous fait plonger dans l'univers des highstakes et Victor met en place ses personnages.

Tout n'est pas toujours rose et Nosebleed permet aussi de voir Alexonmoon bluffer rivière pour votre salaire annuel, un moment hors du commun. Activité sportive la plus violente se disputant sur une chaise, le poker est une jungle. La table un ring. Sous l'oeil de la caméra, l'activité pugilistique de Luneau devient une métaphore de sa tentative de s'accommoder de la dureté du poker, de la combattre. En ses temps troublés pour le poker tricolore, l'esprit sportif des deux héros fait aussi plaisir à voir, comme un exemple. Qui aura le droit de s’asseoir à la table du fish ? Sébastien nous raconte aussi ses batailles homériques contre Rui Cao. La compétition est loyale entre ce groupe de joueurs. Pas d'arrangements entre amis. « Rui, c'est le 4e joueur contre qui j'ai joué le plus de mains selon mon tracker », indique Sébastien Sabic. « C'est aussi le 3e plus gros perdant de mon tracker », termine-t-il.

Victor Saumont nous plonge dans le quotidien de deux grinders highstakes. Ce quotidien c'est aussi l'attente. Il n'y a pas d'action. Pas tout le temps. Savoir quand jouer, garder sa motivation c'est toute la différence entre les étoiles filantes et ceux qui durent. Les premiers shots, les difficultés, se préserver, éviter le burnout sur les petites parties, persévérer pour enfin faire le fameux écart.



Décembre 2010. Alexandre Luneau atteint la lune et prend un million de dollars sur les tables virtuelles. Le début de l'histoire. « Une respiration ». La grande époque des tables folles sur FullTilt, le départ du grind et une anecdote de plus de Sabic, prêt à tous les stratagèmes pour ne rien manquer sur les tables virtuelles. Folie douce mais démarche rationnelle. Le hasard s'efface derrière le travail et la rigueur.

Victor Saumont suit deux joueurs évoluant au plus haut niveau mondial, deux joueurs qui bataillent contre les champions du poker moderne et sont reconnus. Vous n'avez jamais rêvé d'entendre Ivey venir à votre table et vous lâcher qu'il « faut jouer avec les meilleurs quand tu veux continuer à progresser » ? Luneau nous raconte l'anecdote tranquillement sans sourciller.

Toujours ou presque en retrait de ses personnages, le réalisateur brosse le portrait de deux jeunes Français expatriés à l'étranger qui partent s'installer provisoirement dans un troisième pays. Le film trouvera donc une résonance particulière auprès des passionnés de poker, avec de multiples anecdotes savoureuses. Phil Ivey, Gus Hansen ou encore Rui Cao jouent les plus grosses parties du monde et leur frasques font aussi la matière du projet de Victor. Souvent candides, parfois calculateurs, toujours disponibles, Alexandre et Sébastien nous ouvrent la porte de leur relation avec ce monde des plus hautes limites. Il est temps de décoller. Las Vegas, direction le bracelet.

Pas le temps de respirer et Alexandre atteint déjà une Table Finale aux championnats du Monde. Il respire la confiance, lui et Sébastien Sabic sont là pour s'étalonner. « C'est une question de temps », prophétise-t-il pendant que le film nous fait découvrir la routine du joueur de poker aux WSOP et pourquoi Alexandre Luneau a du abandonner son ancien pseudo au profit d'Alexonmoon.

Jouer un tournoi, sauter, récupérer, se préparer au suivant, enchaîner des jours entiers en ne pensant qu'au prochain coup, à la prochaine décision. Ne plus savoir quel est le jour de la semaine. Ou pire. De Las Vegas à Bangkok en passant par Londres, le rapport au temps spécifique du métier de joueur provoque quelques moments savoureux. Faire la fête avec Phil Ivey pourquoi pas mais Victor Saumont capture surtout plusieurs moments d'humanité, notamment une superbe partie de foot improvisée entre Alexandre et sa compagne. La conclusion de la première moitié d'un film qui pourrait presque se finir là.



Mais 40 minutes de bonheur ce n'est pas suffisant. Et les WSOP ne s'arrêtent jamais. Il y a toujours un tournoi pendant presque 60 jours et après une coupure d'une semaine en forme de road trip, Alexandre revient pour disputer un tournoi de variantes à 50 000 dollars l'entrée... et Gus Hansen arrive enfin.

Nosebleed parle alors ouvertement de gros sous et éclaire la partie immergée de l'iceberg. Blindes folles, action grotesque, swings de malade, Sébastien Sabic et Alexandre Luneau ne semblent ressentir aucune gène pour évoquer l'argent ou le spew, preuve de la complicité que le réalisateur a réussi à instaurer. Sans tabou ni prise de tête, leur réussite financière est manifeste. Le rêve toujours là.

Le dernier tiers du film est d'ailleurs consacré à l'épreuve mythique du poker, le Main Event des WSOP à 10 000 dollars l'entrée. Une mystique toujours forte malgré les années. Alex Luneau ne fera qu'un passage éclair dans ce tournoi. « Le poker n'est pas une science parfaite », indique-t-il avant de faire un bilan sans frisson et de s'envoler pour Londres.

Son départ de Las Vegas laisse plus de place à Sébastien Sabic, plus discret car moins en réussite en tournoi... mais toujours assis aux tables pour faire le métier Bellagio, preuve de la constance et de la détermination nécessaires pour exister au plus haut niveau du poker. En décalage d'une journée, Sébastien se lance finalement dans le Main Event. Loin de son ordinateur mais avec le rêve d'un parcours parfait et aussi le mirage que représente le Rio dans un clin d'oeil à Patrick Bruel et That's Poker. Si proche mais si difficile à atteindre, la conquête du bracelet fait rêver les millionnaires. « J'ai un souvenir de session contre Isildur […] Les détails d'une session de cash game disparaissent, le MTT c'est vivre, les tournois restent », confie Sébastien dont le bilan de son premier jour au Main Event amène de belles séquences. « Dans un sens je suis très chanceux d'être là. Dans le sens ou je me sens plutôt « fortunate ». Je suis satisfait de ma situation, c'est une belle vie » explique-t-il en revenant sur la dynamique de l'écosystème du poker et l'anonymat relatif des plus gros joueurs de cash-game en comparaison des stars du jeu de tournoi. Cela avant de parler de son père qui lui a transmis sa passion. Moment confession mais sans pathos réel. Tout en maîtrise.

Devenus millionnaires en jouant aux cartes, entre entrepreneur et athlète, Alexandre Luneau et Sébastien Sabic se dévoilent comme des hommes à la sérénité impressionnante. Leur personnalité se révèle sous le regard de la caméra de Victor Saumont, un réalisateur qui capte leur relation au poker avec beaucoup de tendresse et d'empathie tout au long d'un voyage plutôt intime dans les coulisses des highstakes. Si le « poker est un marathon sans note artistique » selon Rui Cao, nos deux héros sont des chercheurs d'or qui tentent de garder l'envie d'être au top tout en gardant la tête sur les épaules.

Au final, ce projet brille par sa simplicité. Pas de prises de vues aériennes, de plan séquence de 6 minutes ou de montage clippé à la Michael Bay [même si les fans retrouveront la pâte de Gab-X par endroit ;)]. Victor Saumont filme au contact, dans des endroits où il n'a pas forcément d'autorisation, des endroits aux lumières changeantes et au son parfois envahissant. Nous sommes dans la vrai vie, c'est un poker d'exception que montre le réalisateur mais aussi le poker vrai.

Vu les retours, la mise en place d'une version anglaise, la force d'attraction du film et les nombreux passionnés qui retrouvent l'envie de jouer après visionnage, reste une question. Comment PokerStars a-t-il pu laisser passer ce projet ?

Anyway merci pour ce moment Victor et désolé pour la chronique en forme de pavé !


Nosebleed - Le film



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